24 décembre 2024

CARO Fabrice - Fort Alamo

Fort Alamo est un roman de l’écrivain français Fabrice CARO (1973-). Gallimard, 2024, 174 pages. 


AVC sous le sapin 

Aaah Noël ! ce moment féérique avec ses sapins, ses boules, sa Mariah Carey, ses films, ses cadeaux, ses fêtes en familles - ou seul. Une période réconfortante qui permet d'effacer les contrariétés encaissées durant l'année écoulée. Ou presque, comme nous le raconte Fabrice Caro.

En pleine période de Fêtes, la vie de Cyril va être chamboulée. Ce brave père de famille découvre que chaque personne qui le contrarie au quotidien semble mourir, dans les secondes qui suivent, d'une forme d'AVC. Est-ce l'effet de sa colère accumulée ? Comment gérer cela avec son frère qui le presse de vider la maison de leur maman décédée, l'achat des cadeaux de dernière minute, et le réveillon de Noël à passer chez son agaçante belle-sœur dont les jours sont désormais comptés  ? 

Comme dans ses romans précédents, Fabrice Caro a le sens de l'anti-héroïsme et de la cocasserie qui fait rire, ou presque. En effet, la formule m'a paru plus artificielle dans cet opus et, par conséquent, moins puissante. Une impression qui découle peut-être de la situation de départ qui est, dans ce roman au contraire des précédents, a priori irréalisteToutefois, ça fonctionne. Son humour reste bien satirique, fin, empathique pour son antihéros, jamais lourd ni lassant.

Par ailleurs, les thématiques du roman prennent, dans celui-ci, plus de temps à se construire. L'auteur, derrière l'humour, trouve son inspiration dans les Fêtes, le deuil maternel, et surtout la gestion des contrariétés sociales accumulées au quotidien. Fort Alamo raconte une histoire du regard sur les autres. La relation de Cyril à son entourage, de sa famille à son psychiatre, est à cet égard révélatrice de la difficulté d'être compris et de changer ce regard, même à Noël.

Bien qu'il ne s'agisse pas de son meilleur roman, Fort Alamo reste fidèle au style de Fabrice Caro. Pour son ambiance de Noël, son humour satirique, ainsi que la réflexion qu'il amène sur la colère, Fort Alamo est une lecture parfaite pour se ressourcer en période - ou non - de Fêtes.

Extrait :

« Léonie m'a demandé si je ne voulais pas m'occuper des noix de saint-jacques. j'aimais l'immuabilité de nos menus annuels. Quand je les avais achetées au supermarché, une vieille dame devant moi avait dit au poissonnier Eh ben elles ont une sale tête vos gambas. J'avais laissé échapper un rire réflexe. Les vieux ont perdu toute notion des codes et peu leur importe. C'était peut-être ça la seule et unique consolation : un jour on s'en fout ». 

13 décembre 2024

BAYARD Pierre - Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? est un essai du professeur universitaire de littérature français Pierre BAYARD (1954-). Les Editions de Minuit, 2007, 163 pages. 

LP -

En écrivain cet essai, Pierre Bayard avait manifestement comme objectif de se mettre tous les professeur de français à dos, eux qui s'épuisent à répéter, de générations d'élèves en générations d'élèves, que le premier devoir à réaliser avant de parler d'un livre, c'est de le lire...

Mais qu'est-ce donc que lire et parler un livre ? Il s'agit de la question à l'origine de cet ouvrage. La thèse de Pierre Bayard est de refuser la distinction binaire entre les livres que l'on aurait lus et dont on pourrait parler, et les livres que l'ont n'aurait pas lus et dont on ne pourrait pas parler.  Sur la base d'une redéfinition de la lecture et de la non-lecture, l'auteur vise ainsi à démontrer qu'il est possible et même épanouissant d'élargir le champ des livres dont on assume de parler.

Il peut s'agir des livres que l'on ne connaît pas (LI), des livres que l'on a parcourus (LP), des livres dont on a entendu parler (LE), ou encore des livres que l'on a oubliés (LO). L'auteur évoque divers conseils (ne pas avoir honte, imposer ses idées, inventer les livres, parler de soi) pour parler de ces livres dans diverses situations sociales : la vie mondaine, avec un professeur, avec l'être aimé, jusqu'à discuter avec un écrivain...de son propre livre que nous n'aurions pas lu. 

Deux choses m'ont plu dans cet ouvrage. D'une part, l'approche psychanalytique permettant de s'affranchir d'interdits scolaires parfois inconscients. D'autre part, l'illustration systématique du propos par des extraits d'œuvres littéraires. L'auteur ne se prive d'ailleurs pas de donner un avis sur chacune d'entre elles, par des abréviations cohérentes avec sa thèse : "LP +" signifiera "avis positif sur ce livre parcouru", "LO --" signifiera "avis très négatif sur ce livre oublié", etc

En revanche, sa conception de la lecture m'a paru morose et malhonnête. Dès le prologue, l'auteur écrit qu'il enseigne la littérature mais qu'il n'a ni le gout ni le temps de lire. Par contre, il "doit" parler des livres... L'ouvrage est guidé par cette conception mondaine de la lecture. Aucun livre lu pour le plaisir, pour les émotions, pour l'intrigue. Non, les livres sont des prétexte aux rapports sociaux pour pouvoir parler littérature en toute situation, quitte à dire n'importe quoi. 

Pour rebondir sur l'aspect psychanalytique de cet essai, l'on pourrait penser que Pierre Bayard sublime une frustration de ne pas parvenir à lire des livres, en théorisant des manières d'en parler qui peuvent mener à nier le livre lui-même. En suivant son exemple, mon verdict : LP -. 

Extrait :

« C'est assez dire à quel point les discours sur les livres relèvent d'une relation intersubjective, c'est-à-dire d'un rapport de force psychiques, où la relation à l'Autre, quelle que soit la nature de cette relation, prend le pas sur la relation au texte, lequel, par voie de conséquence, n'en demeure pas indemne ».

09 décembre 2024

JARDON Quentin - Le chagrin moderne

Le chagrin moderne est un roman de l’écrivain belge Quentin JARDON (1989-). Flammarion, 2024, 254 pages. 

Houellebecq fait du stop

Les abandons sur les aires d'autoroutes ne se limitent pas aux sacs poubelles et aux animaux de compagnie. L'on peut aussi y abandonner son épouse et son enfant. Il s'agit du cœur de ce roman qui, sur fond d'éco-anxiété, démarre d'un besoin : tout plaquer.

Paul et Clémence, malgré leur jeunesse et leur petit Marius, forment un couple affectueux mais dépassionné. Ereintés par leur place dans notre époque, ils entretiennent désormais un rapport antagoniste à leur foyer : lui s'y ressource, elle s'y sent prisonnière. Conduisant sur l'autoroute des vacances, Paul, humoriste qui ne fait plus rire personne, ressent alors le besoin irrépressible de fuir Clémence et Marius, sans les prévenir, pour les libérer de ses tourments...

En lisant ce premier roman, j'ai rencontré un fils caché de Michel Houellebecq. En effet, les similitudes de style et d'approche sont flagrantes. Outre ce narrateur anxieux désabusé plutôt comique, ces similitudes proviennent de la présence de lois scientifiques (« J'en voulais aux lois de l'évolution qui nous avaient dotés de fonctionnalités de plus en plus complexes; certaines avaient concouru à notre plaisir et notre émancipation d'autres nous menaient à l'autodestruction»), d'aphorismes romantiques (« Une fois ses couilles vides, il ne reste plus à l'homme que des sentiments; parfois c'est agréable, parfois pas du tout»), de la satire du professionnel New Age (« Pour augmenter notre niveau de vie et élargir sa palette de compétences, ma femme se proposait donc d'astiquer à l'huile chaude des pénis de riches. J'en conçus des sentiments ambigus ; ce qui dominait toutefois, c'était l'humiliation »), ou encore de la place accordée à la ruralité et aux petites épiceries du terroir. 

L'escapade autoroutière de ce roman est dépaysante et dynamique par l'intervention de divers personnages aux prises avec l'époque. Elle raconte un inconfort dans la modernité, généré par l'anxiété et le manque de sens, vécu par le narrateur comme « un état gazeux, un sentiment de tristesse et d'abattement indéfinissable, brouillardeux, et pourtant occupant tout l'espace de nos vies de grands enfants désenchantés, se dilatant vite avec les années ».

Roman de l'anxiété environnementale, cette thématique apparait toutefois réductrice pour évoquer la psychologie des personnages. En effet, il s'agit de crises existentielles découlant également de la parentalité et sa culpabilité, du couple et sa passion, du sens professionnel, de la colère, de l'ennui de vivre et du chagrin de constater que le bonheur moderne ne serait, peut-être, qu'une précaire consolation. 

Si face à leur époque et à leur solitude existentielle, les personnages de Houellebecq se dirigent vers l'acceptation, la soumission ou l'autodestruction, le chagrin moderne est une boussole vers des chemins plus farouches. Guidés par la colère, l'insoumission et la reconnexion à la nature, les personnages débouchent en effet sur une éthique de l'engagement contre leurs tourments et le monde.

Ce premier roman de Quentin Jardon est une petite pépite dans la littérature belge. Grâce à son style houellebecquien attendri, ses thématiques contemporaines ainsi que l'introspection qu'il procure, son auteur devient un jeune écrivain à suivre avec attention. 

Extrait :

« Je pensais souvent à la quantité de choses que Marius devrait encore apprendre avant d'atteindre la sagesse. Ca suscitait en moi un mélange de découragement et de nostalgie, une sorte de virginité par procuration ; c'était si énorme, si fabuleux de découvrir la société des hommes, et en même temps si fastidieux, si décevant ».