15 avril 2023

GUNZIG Thomas - Le sang des bêtes

Le sang des bêtes est un roman de l'écrivain belge Thomas GUNZIG (1970-). Au diable vauvert, 2022, 223 pages. 



Métaphysique de la viande (*)

Visualisez une salle de sport, des muscles, des compléments alimentaires surprotéinés. Le bruit de la fonte qui s’entrechoque. L’odeur de transpiration camouflée de déodorant. Vous voici dans l’atmosphère parfaite pour découvrir ce roman qui, dès sa couverture, replace l’humain comme une bête parmi d’autres au sein du monde animal. 

Au sein de ce monde animal : Tom. Tom est un quinquagénaire accro au sport et au développement des muscles, qui se trouve au bord de la dépression. Alors qu’il travaille tant bien que mal dans son magasin de nutrition sportive, il découvre le courage de porter secours à une jeune femme abandonnée et en détresse : N7A. Une personne à l’histoire étrange, qui prétend être une vache sous forme humaine… 

D'emblée, en découvrant Tom, l'on pressent que ce roman va transpirer la sincérité car il rappelle Thomas Gunzig lui-même. Un a priori confirmé par plusieurs personnages et situations. Outre la passion du sport, le héros partage les démons juifs de l’auteur, lui dont le grand-père est mort dans un camp de concentration. Surtout, la place du sport dans la famille et son rôle dans la fierté du héros rappellent l'auteur, lui qui indique venir « d’une famille plutôt intello, où ce qui relevait du sport, du corps, était plutôt déconsidéré » (**) et « avoir grandi en [se] sentant trop petit, trop maigre, terrifié par l’idée même de la violence physique » (***). L'auteur est en terrain connu. Son histoire apparait écrite avec le cœur et les tripes, illustrant au passage que des expériences de vie peuvent inspirer une excellente fiction.

Car il s'agit effectivement d'une excellente fiction. Une fiction drôle et rocambolesque, à la touche fantastique par la créature qu'est N7A. Cette histoire, qui malgré cette touche fantastique se situe dans notre quotidien, emporte rapidement le lecteur dans les émotions et l'évolution de personnages plus perdus les uns que les autres. En particulier les deux personnages centraux en recherche de bonheur que sont Tom et N7A. En fil rouge de cette quête de bonheur se trouve la puissance du corps face aux incertitudes de l'esprit. Un fil rouge qui conduira les personnages vers les questions de l’image de soi, du plaisir sportif, de l'identité, de la vie conjugale, de la culpabilité parentale et de l'éthique face au vivant. Il s’agit d’une fiction originale remplie de sources d'émotions et de réflexions, qui ne laisse aucune place à l’ennui. 

Enfin, cette histoire est un huis clos des relations interpersonnelles. Aucune autorité ou institution n’est mobilisée pour aider N7A. La narration est focalisée sur les interactions entre les personnages et au sein de la famille de Tom. Il en résulte une histoire touchante et encourageante sur la fierté d'un humain à aider par lui-même autrui, en combattant par la même occasion ses propres démons alors même que tout s'effondre.

Si vous cherchez un roman drôle et surprenant, avec des personnages tourmentés qui cherchent le bonheur entre les muscles et l'esprit, alors le sang des bêtes coule probablement en vous !

 Extrait :

« Elle était si étrange. Il se souvint de la fierté qui l’avait envahi lorsqu’il avait volé à son secours, ça lui avait donné l’impression que telle une rivière de lumière et de joie, l’énergie de la jeunesse coulait à nouveau dans son corps. Durant les deux jours qu’il avait passés avec elle, il avait eu la sensation de donner enfin un sens à son existence mais il y avait surtout eu autre chose : il avait ressenti une formidable excitation à l’idée qu’il ne faisait pas les choses comme son père, son père si lâche qu’il avait laissé mourir sa mère dans une voiture en flammes. Au moment où il était venu en aide à N7A, c’était comme s’il déjouait le scénario que son ascendance avait écrit pour lui : il pouvait refuser d’être une victime et choisir d’être du côté des héros ».



(*) Le titre de cette chronique est indirectement fourni par Thomas Gunzig lui-même, en marge de la page 38 du roman. Merci pour cette vraisemblable erreur d'édition/impression !
(**) Ciné Télé Revue, interview au sujet de son roman « Rocky, dernier rivage »;
(***) Ibidem.