02 septembre 2024

KARLSSON Jonas - La facture

La facture est un roman de l’écrivain suédois Jonas KARLSSON (1971-). Actes Sud, 2015 (2014), 189 pages.

Taxe sur le bonheur ajouté 

Ne vous méprenez pas sur cette couverture. Cet homme bienheureux au milieu de la nature a aussi ses problèmes ! Ce que l'image ne dit pas, c'est qu'il a reçu une facture l'endettant pour la vie. Le motif ? Eh bien justement ! il mènerait une vie de bienheureux, et vivre, cela a un prix.

Dans ce roman, nous rencontrons pourtant un narrateur dont la vie semble morose. Célibataire éconduit, orphelin et employé du vidéoclub Les bobines de Jojo; il y conseille des cinéphiles, imagine l'Afrique dans des taches de coca sur le sol, achète des serpillères et déjeune avec son seul ami Roger. Jusqu'à la réception de cette facture de 5 700 000 de couronnes... Arnaque ? Erreur de calcul ? Pour le savoir, il ne reste qu'à appeler le numéro inscrit au bas du document... 

De cette intrigue cocasse, l'auteur développe une histoire plutôt kafkaïenne et orwellienne. En effet, derrière le thème du bonheur se trouve l'absurdité de cette facture démesurée adressée à un homme ordinaire, un narrateur anonyme présumé coupable d'exister et de vivre, face à une autorité fiscale froide, surpuissante, qui connaît le moindre recoin de la vie privée des sujets, lesquels ne font qu'aggraver leur cas à tenter de contester ou d'obtenir des explications. 

Le narrateur préserve toutefois une légèreté et une facilité de lecture. La simplicité de son quotidien et de ses réactions enlève toute dimension sophistiquée à l'histoire. Par ailleurs, la place réservée à la sensibilité est grande. Le thème du bonheur est appréhendé en grande partie par la sensibilité aux éléments, aux saisons, aux rêves, aux souvenirs ; au bonheur d'une sieste sur un canapé; à l'amusement de gonfler ses joues; à la satisfaction d'une vie paisible, tranquille. 

En réalité, avec une mauvaise langue, l'on pourrait y trouver une méthode de développement personnel pour radins ou conseillers fiscaux qui, s'ils se laissent prendre au jeu de l'histoire, partiront à la recherche des sources de plaisirs potentiellement facturables dans leurs quotidiens. Pourront-ils les réduire et payer moins ? Difficilement, tant il s'agit parfois de choses banales ou liées à la sensibilité d'exister. Pourront-ils au moins en profiter davantage ? On le leur souhaite.

La facture est un petit roman absurde agréable à lire, en compagnie d'un antihéros sensible et attachant. L'histoire amène le lecteur à ne pas tenter d'éluder les sources de bonheur qui pourraient être facturées dans sa propre vie, quel qu'en soit le prix, surtout la gratuité. 

Extrait :

« Il était tard, mais j'ai quand même appelé. J'avais passé à peu près toute ma soirée assis à la table de la cuisine, à écouter les bruits de la ville au dehors. Lentement regardé la nuit tomber sur les toits et écouté les bruits changer. Des gens se disputaient. J'entendais des bribes, sans vraiment comprendre de quoi il s'agissait. Une femme a ri fort et longtemps. Un chien a aboyé et une bande de supporters est passée en chantant l'hymne de son club de foot. De temps à autre, une brise plus fraîche entrait dans ma cuisine surchauffée, me caressait le visage et les bras. J'étais assis là, sans aucune raison d'aller nulle part. D'une certaine façon, la vie était juste si belle. Normal qu'elle vaille cher ».