Vous ne me trouverez pas sur Amazon ! est un essai du journaliste français Laurent MAUDUIT (1951-). Editions divergences, 2024, 115 pages.
Utopie culturelle
Avec un tel titre, qui n'ira pas vérifier que ce livre est réellement absent d'Amazon ? Epargnez-vous le détour : oui, il s'y trouve. Neuf, proposé par un vendeur tiers. Les subtilités du géant du commerce en ligne malmènent donc un peu ce titre provocateur, mais pas seulement...
Car en effet, dans cet ouvrage, l'auteur explique que les oligopoles de notre civilisation du numérique malmènent avant tout certaines libertés et valeurs démocratiques. Il lance ainsi l'alerte sur deux enjeux déjà bien entachés par le capitalisme ordinaire : les conséquences d'Amazon sur le prix unique du livre, la liberté d'édition et l'avenir des librairies indépendantes (1), d'autre part l'impact de Google et Facebook sur la liberté de presse et l'information citoyenne.
Le parcours de l'auteur éclaire la teneur de l'ouvrage. Avec des débuts comme journaliste à Informations ouvrières, un passage par Libération, jusqu'à la fondation de Médiapart, l'on découvrira sans surprise un ouvrage rédigé avec passion et marqué à gauche sur le plan idéologique. Si le propos est intéressant et très important, le ton employé laisse ainsi parfois douter d'une parfaite objectivité ; les accusations portées sont d'ailleurs essentiellement à charge.
Mais fallait-il une objectivité irréprochable dès lors que la critique porte sur des géants du numérique auxquels plusieurs autorités de la concurrence ont déjà infligé des amendes records qui se chiffrent en dizaines, voire centaines(!), de millions d'euros ? Non, car les dérives dénoncées restent aussi flagrantes que l'inaction politique. Souhaitant davantage qu'une amélioration concurrentielle, l'auteur appelle ainsi à un utopique changement de paradigme (2).
Il est toutefois dommage que le propos soit très autocentré sur la France alors que le débat, et surtout les solutions, relèvent nécessairement d'une dimension européenne, voire mondiale. Par ailleurs, l'on regrettera que la thématique de la liberté de la presse semble occuper plus de place que celle de la défense du livre, malgré ce titre qui laisse penser le contraire. Au-delà de ça, l'investigation est implacable et devrait interpeller toute personne intéressée par ces sujets.
Le plus important reste que derrière son contenu factuel, financier, politique, cet ouvrage démontre qu'un péril pèse sur des expériences sensibles précieuses à préserver : le bien-être de pouvoir se perdre dans une librairie physique, la joie de repérer des livres (et donc des pensées) en dehors des algorithmes publicitaires, la satisfaction de s'informer par une presse qui n'est pas sous influence, rester libre sans devenir soi-même une marchandise... Des utopies, là aussi ?
Ce réquisitoire de Laurent Mauduit contre les oligopoles du numérique alerte et appelle à la résistance afin de préserver certaines libertés et valeurs démocratiques. Comme plusieurs acteurs du secteur du livre, agissons à notre niveau de citoyen-lecteur tant qu'il en est encore temps.
(1) Voir l'appel « Nous ne vendrons plus nos livres sur Amazon » (lien), cité par l'auteur.
Extrait :
(2) « Face à ce séisme, il est donc décisif d'opposer une alternative à ce capitalisme prédateur, celle des communs. Alternative de bon sens : n'est-il pas temps de convenir qu'il y a des biens essentiels qui ne devraient appartenir à personne, pas même à l'Etat, et dont l'usage devrait être ouvert à tous ? Si c'est le cas, il coule de source que les biens numériques font partie de cet horizon post-capitaliste, allant au-delà de la propriété. Ce qui peut paraître utopique, mais qui correspond très précisément aux espérances des premiers temps de l'Internet ».