Vent blanc, noir cavalier est un roman de l'écrivain américain Luke RHINEHART (1932-2020). Aux forges de Vulcain, 2021 (1975), 272 pages.
Depuis 1971, Luke Rhinehart chamboule de nombreux lecteurs avec son roman L'Homme-dé (lire ici) dans lequel un psychiatre utilise le hasard pour se détacher de soi. Quelques années plus tard, ce thème du détachement le préoccupait encore, de sorte qu’il reprit sa plume et remplaça les fameux dés par quelques sabres bien affutés.
Lors d’une nuit de tempête enneigée du XVIIIe siècle, un temple bouddhiste abandonné devint le refuge de deux amis poètes aux tempéraments opposés. Si Oboko est ascétique et discret, Izzy est graveleux et porté sur la boustifaille. Si Oboko écrit des poèmes pour ses amis, Izzy les écrit pour être acclamé par la Cour impériale et s'enrichir. Si Oboko s'efforce de se détacher du décès de sa future épouse, Izzy est obsédé par sa propre mort. Alors qu'il entend du bruit à l'extérieur, Oboko y découvre un corps enneigé. Celui de Matari, une mystérieuse personne qui les bouleversera par sa beauté. Toutefois, Matari est poursuivie par son mari, le puissant Seigneur Arishi, qui a fait le serment de lui couper la tête pour rétablir son honneur conjugal…
Tout d’abord, remarquons la qualité du livre comme objet. Les éditions Aux forges de Vulcain ont l'art de créer des livres beaux et agréables, pour leurs couvertures, leur papier ou encore leur typographie. Leur lecture est déjà un plaisir sur le plan physique.
Ce plaisir est ici, dès les premières pages, renforcé par l'ambiance nippone et enneigée. On a froid, on est perdu dans les montagnes, mais on ressent également le réconfort des braises à l’intérieur de ce temple bouddhiste abandonné. Il s'agit d'une œuvre réussie pour son atmosphère, sans devoir y lire d'interminables descriptions ; l'auteur utilise simplement la bonne poésie aux bons endroits.
L'auteur s'est également entouré de très bons personnages. Ceux-ci sont charismatiques et construisent toute l’intensité du récit, à travers la tempête de leurs quêtes et démons respectifs : le détachement et l'amour pour Oboko, la gloire et la fête pour Izzy, la liberté et la fidélité pour Matari, l'honneur et l'intransigeance pour Arishi. Qui est la neige ? Qui est le feu ? Cela dépendra des circonstances et de la capacité de détachement de chacun, tantôt à coup de poésie ou d'humour, tantôt à coup de décapitations.
On pourra voir, dans la chasse des noirs cavaliers, la pression de puissants principes sociaux face à la tentative de liberté individuelle portée par le vent blanc. On pourra également voir le poids des interdits personnels, face au désir et à l'horizon du bonheur. Ces névroses et confrontations s’inscrivent dans la droite ligne de l'anticonformisme chez Luke Rhinehart. Elles méritent d’être profondément méditées tant elles percutent encore pleinement notre époque et nos personnalités.
Si, comme l'affirme le grand poète impérial Izzy, « Il ne faut jamais remettre au lendemain les boustifailles que l'on peut faire le jour même », il en est de même pour la lecture de ce roman. Laissez-vous porter loin du quotidien par ce vent blanc, vers un refuge littéraire de liberté enneigée et d'émotions incandescentes.
Extrait :
« En apparence, Oboko montait la garde et ses yeux regardaient fixement le sentier qui grimpait le flanc de la montage depuis Samika ; en réalité, il n'aurait peut-être même pas remarqué une armée en marche. Son esprit vagabondait, passait de la joie qu'il avait éprouvée en constatant que son poème avait plu à Matari au tourment de ne pas savoir où Izzy avait passé la nuit précédente, de ne pas savoir ce qu'il faisait à l'heure actuelle dans le temple et, de là, à la perplexité de se répéter sans cesse que cela n'avait aucune importance. Il était énervé, anxieux, extatique, tourmenté ; en un mot, il se sentait vivre ».