30 décembre 2023

FABCARO et CONRAD Didier - Astérix tome 40, l'Iris blanc

L'Iris blanc est une bande dessinée de l'écrivain français FABCARO (1973-) et du dessinateur français Didier CONRAD (1959-). D'après René GOSCINNY (1926-1977) et Albert UDERZO (1927-2020). Hachette, 2023, 48 (126) pages.

C'est une bonne situation, ça, influenceur ?

Pour être honnête, je ne connais rien à Astérix en bande dessinée. Ma maigre culture se limite à Christian Clavier qui s'agite au milieu du désert et des charpentes. Par contre, je suis accro à l'univers littéraire de Fabcaro, alias Fabrice Caro. En bon consommateur de son humour empathique et absurde, je me suis donc jeté dans cette BD dont il est pour cette fois le scénariste. 

Direction donc la Gaule, en 50 avant J.C. Malheureusement pour César, les troupes romaines sont démotivées. Elles désertent leur conquête du dernier village gaulois. Vicévertus, le médecin-chef des armées, a la solution pour leur redonner la fierté du combat : leur inculquer une pensée positive selon sa méthode de l'iris blanc. A coups de sourire charismatique et d'aphorismes bienveillants, Vicévertus commencera par influencer l'ennemi et tempérer son agressivité...

Astérix est d'abord du Astérix, et non du pur Fabcaro. Nous ne sommes donc pas vraiment dans l'univers absurde de cet auteur tel qu'on peut le connaitre mais davantage dans la caricature et la satire, à propos de nombreux sujets contemporains : évidemment la manipulation par des gourous du développement personnel, mais également les transports, les commerces, l'alimentation, les grandes villes, certaines chansons, ainsi qu'une bonne crise de couple entre Bonemine et Abraracourcix. C'est une plongée dans d'innombrables jeux de mots, tel que l'« esprit sain dans un porcin » au milieu d'une chasse aux sangliers devenus étonnamment positifs et affectueux. Tout cela donne un relief comique bien réussi à un scénario avant tout sérieux sur le fond : dépasser la naïveté et lutter contre un gourou influenceur qui neutralise ici la vigilance, la cohésion et l'authenticité de tout un village.

Les dessins sont beaux et remplis d'ambiances variées particulièrement bien colorées. Leur contenu alimente merveilleusement le scénario grâce à leur dynamisme, à certaines répétitions de cases fixes et à des visages remplis d'émotions. Aux cotés de ce Vicévertus très majestueux et parfois trop tête à claques, j'ai beaucoup apprécié le visage ronchon et désabusé d'Abraracourcix. Et, naturellement, Astérix et sa bonne moustache qui lui procure l'amusante détermination d'un scottish terrier, à défaut d’une présence plus marquée d’Idéfix. 

Enfin, mention spéciale pour l'édition grand format et son irréprochable qualité. Elle est agréable au toucher, semble indestructible et contient, outre l'histoire et ses planches originales, des compléments sur le monde d'Astérix et sur la création de cet opus. Pour un amoureux du bon papier et néophyte de cette bande dessinée, cette édition fut un régal et très intéressante. 

L'iris blanc est une BD drôle et intelligente, qui titille notre époque et apporte, par un humour touchant et satirique, une dose d'esprit critique face aux gourous miraculeux d'une certaine pensée positive. Les auteurs m'ont donné l'envie de découvrir les 39 tomes précédents d'Astérix, avant Fabcaro. Ma culture et surtout ma PAL les en remercient ;o)... il reste de la potion ?

Extrait : 

28 décembre 2023

KARLSSON Jonas - La Pièce

La Pièce est un roman de l’écrivain suédois Jonas KARLSSON (1971-). Actes Sud, 2016 (2009), 189 pages.

Trouble du spectre de l'absurde 

Comme l'écrivait Albert Camus, « l’absurde n’est pas dans l’homme, ni dans le monde, mais dans leur présence commune » (1). Une absurdité qui pouvait déjà se trouver sous l'angle de la bureaucratie, chez Kafka, par la confrontation d'un étranger avec un château (2). Ici, la confrontation se déroulera entre un fonctionnaire autiste et sa propre administration… 

Björn vient d'intégrer son nouveau service. Peu à peu perçu comme arrogant et conflictuel par ses collègues, l'on découvre que Björn a en réalité tous les traits d'une forme d'autisme, bien que le mot ne soit jamais utilisé. L'ambiance de travail sera désormais rythmée par des réactions sociales incomprises, des journées programmées à la minute près, de l'attention aux détails, une recherche de l'ordre parfait et de la franchise dans les ambitions. Surtout, Björn développera un intérêt obsessionnel pour une pièce parfaite et inoccupée au milieu du couloir, véritable refuge mental nécessaire à son équilibre.

Il s'agit d'une immersion romanesque dans un service peuplé de personnages emblématiques, malmenés dans des situations et dialogues tous plus absurdes les uns que les autres. Le personnage principal, tellement imprévisible et sûr de lui, anime impitoyablement l'histoire et transforme cette administration en véritable théâtre du comique et de l'improbable. Certains le jugeront incapable, drogué, d'autres envisageront, à coups de réunions et sous la détresse, de désigner un consultant vu l'impossible compromis vis-à-vis de la pièce (scène mémorable !), certains se remettront en question, d'autres, évidemment, pas du tout. 

Mais qui est le problème dans cette histoire ? Cet individu qui travaille parfaitement mais en dehors des normes et des convenances, ou bien cette structure qui l'accueille et l'appréhende avec des œillères traditionnelles inadaptées ? Certainement ni l'un ni l'autre, mais bien leur présence commune qui, si elle tout compte fait bien triste, a le mérite de faire beaucoup rire.

La Pièce n'est ni du Camus, ni du Kafka. C'est du Karlsson, un écrivain trop méconnu qui nous offre un excellent petit roman rempli d'absurdité bureaucratique, de personnages savoureux et de péripéties à la fois farfelues et navrantes. Tout cela en ouvrant l'esprit, par l'humour, sur la complémentarité possible des différences en milieu professionnel. Que demander de plus ? 

Extrait : 

« Je crois qu'il est utile pour nous tous de considérer que nous ne sommes pas tous pareil, et que certaines personnes voient les choses d'une façon, comment dire ? un peu différente. Mais nous sommes des adultes, et nous devrions malgré tout réussir à fonctionner côte à côte. N'est-ce pas ? ».

(1) Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, Gallimard, 1942. 
(2) Franz Kafka, Le Château, Gallimard, 1938.

16 décembre 2023

MALTE Marcus - Cannisses suivi de Far West

Cannisses suivi de Far West est un recueil de nouvelles de l'écrivain français Marcus MALTE (1967-). Folio, 2017, 184 pages. 


Double concentré de folie

Telle une espèce de Netflix littéraire, un recueil de nouvelles peut avoir le pouvoir d'emmener irrésistiblement et rapidement le lecteur dans une diversité d'univers et de genres. Puisse un jour Marcus Malte proposer des abonnements mensuels pour ses nouvelles !

Cannisses est l'histoire d'un homme qui tente, avec ses deux enfants en bas âges, de retrouver ses marques après le décès de son épouse. A travers les cannisses de sa terrasse il observe la famille voisine. Eux sont en vie, heureux. Pourquoi eux et pas lui ? Comment pourrait-il, lui aussi, profiter de cette maison du bonheur au sein de laquelle la vie semble parfaite ?

Il s'agit d'une nouvelle terriblement addictive, qui transforme progressivement un deuil familial en une surprenante et malsaine folie de voisinage. Ce huis clos psychologique est l'histoire de la jalousie qui rend fou. Le style est parlé, clair, net, rapide, parfaitement efficace. C'est impeccable.

Dans Far West, nous quittons la tranquillité des pavillons résidentiels. Direction vers des quartiers ruraux malfamés et des cellules de prison. Des quartiers d'une vieille Amérique où une police désabusée enquête sur des gens qui promènent des varans et sodomisent des lamas. Des cellules de prison où le méchant n'est pas celui qu'on croit, des lieux de touchantes amitiés.

Il s'agit ici d'histoires plus denses que Cannisses, du fait d'une grande richesse de personnages à déployer pour un format nouvelle. Le style est à nouveau percutant, très cru et accrochant. Far West, c'est un peu le mythe des cowboys et des indiens, version violence moderne. Ca parait simple, mais finalement on ne sait plus trop qui est le bon, le mauvais, le justicier ou la victime. 

Qu'il s'agisse de la vie derrière les cannisses ou derrière les barreaux, Marcus Malte offre de percutantes histoires autour de la solitude et de la violence. C'est impeccable, addictif et rempli de rebondissements et d'émotions; on en redemande !

Extraits:

(Cannisses): « Je sais que c'est à l'intérieur de ma tête mais de temps en temps je sens une forte odeur de cramé, ça me saute au nez sans prévenir, ça me saute à la gorge. la foudre nous a frappés. Le malheur. Nous et pas eux. Ca se joue à si peu de choses: le même lotissement, la même rue, mais pas le même numéro. Pair ou impair. On n'a pas misé sur le bon. C'est ma faute, je le reconnais. Mais permettez-moi de croire que tout n'est pas complétement perdu ».

(Far West): « Les morts se souviennent, il a dit. Ils n'oublient pas. Ils ne pardonnent pas. Ils nous poursuivent. Les morts sont bien pires que les flics. Tant qu'on n'a pas réglé nos dettes, ils ne nous lâchent pas. Jamais. Où qu'on aille, où qu'on se cache, ils nous retrouvent. Les morts ont tout leur temps. Ils ont l'éternité pour eux. Il n'y a aucun moyen de leur échapper ».