La Pièce est un roman de l’écrivain suédois Jonas KARLSSON (1971-). Actes Sud, 2016 (2009), 189 pages.
Trouble du spectre de l'absurde
Comme l'écrivait Albert Camus, « l’absurde n’est pas dans l’homme, ni dans le monde, mais dans leur présence commune » (1). Une absurdité qui pouvait déjà se trouver sous l'angle de la bureaucratie, chez Kafka, par la confrontation d'un étranger avec un château (2). Ici, la confrontation se déroulera entre un fonctionnaire autiste et sa propre administration…
Björn vient d'intégrer son nouveau service. Peu à peu perçu comme arrogant et conflictuel par ses collègues, l'on découvre que Björn a en réalité tous les traits d'une forme d'autisme, bien que le mot ne soit jamais utilisé. L'ambiance de travail sera désormais rythmée par des réactions sociales incomprises, des journées programmées à la minute près, de l'attention aux détails, une recherche de l'ordre parfait et de la franchise dans les ambitions. Surtout, Björn développera un intérêt obsessionnel pour une pièce parfaite et inoccupée au milieu du couloir, véritable refuge mental nécessaire à son équilibre.
Il s'agit d'une immersion romanesque dans un service peuplé de personnages emblématiques, malmenés dans des situations et dialogues tous plus absurdes les uns que les autres. Le personnage principal, tellement imprévisible et sûr de lui, anime impitoyablement l'histoire et transforme cette administration en véritable théâtre du comique et de l'improbable. Certains le jugeront incapable, drogué, d'autres envisageront, à coups de réunions et sous la détresse, de désigner un consultant vu l'impossible compromis vis-à-vis de la pièce (scène mémorable !), certains se remettront en question, d'autres, évidemment, pas du tout.
Mais qui est le problème dans cette histoire ? Cet individu qui travaille parfaitement mais en dehors des normes et des convenances, ou bien cette structure qui l'accueille et l'appréhende avec des œillères traditionnelles inadaptées ? Certainement ni l'un ni l'autre, mais bien leur présence commune qui, si elle tout compte fait bien triste, a le mérite de faire beaucoup rire.
La Pièce n'est ni du Camus, ni du Kafka. C'est du Karlsson, un écrivain trop méconnu qui nous offre un excellent petit roman rempli d'absurdité bureaucratique, de personnages savoureux et de péripéties à la fois farfelues et navrantes. Tout cela en ouvrant l'esprit, par l'humour, sur la complémentarité possible des différences en milieu professionnel. Que demander de plus ?
Extrait :
« Je crois qu'il est utile pour nous tous de considérer que nous ne sommes pas tous pareil, et que certaines personnes voient les choses d'une façon, comment dire ? un peu différente. Mais nous sommes des adultes, et nous devrions malgré tout réussir à fonctionner côte à côte. N'est-ce pas ? ».
(1) Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, Gallimard, 1942.
(2) Franz Kafka, Le Château, Gallimard, 1938.